«Juice», le pilote qui défie les Russes dans le ciel ukrainien
Avec à peine 98 avions de chasse au début du conflit, face à plus de 1 400 appareils russes, l’Ukraine n’avait pas la capacité d’opposer beaucoup de résistance. Pourtant, contre toute attente et malgré la perte d’un certain nombre de leurs appareils, la plupart détruits au sol au début de l’offensive russe, l’aviation ukrainienne est toujours opérationnelle, et ses pilotes empêchent la Russie de maîtriser complètement le ciel. «Dans les airs, les Russes ont beaucoup d’avantages sur nous: leurs appareils, leurs radars, leurs missiles, leurs systèmes de guerre électronique sont plus modernes que les nôtres, et ils ont l’avantage du nombre», dit «Juice», un pilote ukrainien qui se présente par son indicatif de vol. «Nous sommes mieux entraînés, et nous avons la motivation supplémentaire de défendre notre pays, mais le simple effet de supériorité numérique se fait sentir», dit-il dans un entretien réalisé par vidéo depuis une base aérienne ukrainienne.
Depuis le début de la guerre, «Juice» enchaîne les missions. «Je suis en deuxième ligne de défense, dans l’Ouest du pays, où il y a moins d’attaques russes, dit-il, mais je vole parfois plusieurs sorties par jour, et la fatigue se fait sentir.» Son expérience de combat aérien ressemble assez peu à celle décrite dans des films comme Top Gun. «On est rarement engagé en combat tournoyant, ce n’est pas très courant dans la guerre aérienne moderne, dit-il. La plupart du temps, tout se déroule à une distance telle qu’on ne voit jamais l’adversaire. J’ai déjà eu plusieurs contacts radar avec des chasseurs russes, mais en général ma simple présence en vol suffit, mon rôle étant de les dissuader de lancer des missions de bombardement dans mon secteur. Nous sommes aussi utilisés dans des missions d’interception de missiles de croisière, mais ce sont des cibles très petites et nos avions sont mal adaptés. Et nos missiles air-air sont aussi beaucoup trop anciens.» Les Ukrainiens sont équipés d’avions soviétiques de type Sukhoï-25, Sukhoï-27 ou MiG-29. Ces appareils datent des années 1990 et sont surclassés techniquement par leurs adversaires russes, qui volent sur des avions beaucoup plus récents.
Un avion de plus de quarante ans
«Juice» pilote un MiG-29, un avion plus âgé que lui. «Cet appareil ne peut servir qu’à intercepter des bombardiers, mais est totalement surclassé par les Sukhoï-30 ou Sukhoï-35. Même si nous disposions de centaines de MiG-29, nous ne pourrions pas établir la supériorité aérienne. Et c’est de toute façon nous qui sommes inférieurs en nombre, explique le pilote ukrainien. Il m’est arrivé de me retrouver face à plus d’une douzaine d’appareils russes. C’est de la folie de voler avec un avion vieux de plus de quarante ans.» «Nos missions sont extrêmement dangereuses, dans les airs, mais aussi au sol, où nos bases sont constamment menacées. Nous avons déjà perdu de nombreux appareils.» Contraints de changer constamment de piste pour éviter d’être repérés et détruits par les missiles russes, les aviateurs ukrainiens décollent et se posent à des endroits différents. «Je change de piste parfois plusieurs fois par jour, dit «Juice», comme je ne sais jamais où je vais atterrir, j’emporte quelques affaires personnelles avec moi et mes chargeurs et câble pour mes téléphones et gadgets électroniques.»
Les huit années de guerre au-dessus du Donbass nous ont fourni une expérience qui se révèle précieuse aujourd’hui (...) Les Russes sont moins bien entraînés, et leur expérience de la Syrie, où ils volaient sans opposition, ne leur a pas servi à grand-chose
« Juice»
Pourtant, malgré son écrasante supériorité numérique et technologique, l’aviation russe peine encore à établir la complète maîtrise du ciel. «Nous sommes mieux entraînés et mieux préparés que leurs pilotes, dit «Juice». Les huit années de guerre au-dessus du Donbass nous ont fourni une expérience qui se révèle précieuse aujourd’hui. Notre participation à l’exercice Clear Sky, une grande manœuvre aérienne de l’Otan organisée en 2018, nous a fourni une excellente préparation. Les tactiques apprises alors nous sont très utiles. Les Russes sont moins bien entraînés, et leur expérience de la Syrie, où ils volaient sans opposition, ne leur a pas servi à grand-chose.» Que ce soit par manque d’entraînement individuel ou collectif, l’aviation russe n’a jamais mené au-dessus de l’Ukraine des opérations aériennes comparables à celles de l’Otan ou des Américains, dont la doctrine considère la neutralisation des défenses aériennes adverses comme un préalable à des opérations terrestres. Utilisés dans des missions ponctuelles, les avions russes ont subi depuis le début de l’offensive des pertes non négligeables dues aux défenses antiaériennes ukrainiennes.
«Juice» le pilote n’est cependant guère optimiste sur les chances de pouvoir continuer à tenir en échec un ennemi doté d’une telle supériorité sans aide extérieure. «Les Russes ont commencé à utiliser des bombardiers comme les Tupolev-22, capables de détruire des villes entières, comme en Syrie, dit-il. Il nous faut des avions, et des missiles antiaériens pour pouvoir protéger efficacement nos villes, notre population et nos troupes au sol.» Même les MiG-29 polonais, que Varsovie avait envisagé de livrer à Kiev avant de renoncer par crainte que ce ne soit perçu par Moscou comme une escalade, n’auraient selon lui pas fait une grande différence. «Nous avons besoin d’avions modernes, équipés aux normes Otan, comme des Rafale, ou des F-16 ou des F-18, dit-il. Beaucoup de nos pilotes n’ont même pas d’avions sur lesquels voler. Les pays occidentaux pourraient nous fournir ces appareils, nous pourrions déjà être en train d’entraîner nos pilotes et nos personnels au sol. L’entraînement n’est pas si long, et nous utilisons déjà des simulateurs de vol employés par les pilotes occidentaux.» «Nous ne vous demandons pas d’envoyer des combattants», dit «Juice», reprenant un argument répété depuis le début du conflit par les autorités ukrainiennes. «Nous avons seulement besoin d’armes pour nous défendre, et par là même, défendre toute l’Europe!»
Laissez un commentaire