AVIATION D'AFFAIRES : UN ENGOUEMENT SANS PRÉCÉDENT MAIS DE NOMBREUX NUAGES À L'HORIZON
474. C'est le nombre de mouvements d'avions d'affaires observés à l'aéroport de Paris-Le Bourget le dimanche 29 mai dernier, soit un record absolu. Ce chiffre illustre la nouvelle appétence pour ce mode de transport auprès d'un nouveau type de voyageurs, notamment ceux qui avaient l'habitude jusqu'à aujourd'hui de choisir les classes affaires des compagnies aériennes classiques.
"Depuis la fin des restrictions dues à la crise sanitaire, notre activité a bondi de 30% par rapport à 2019. C'est du jamais vu. Avant le covid, l'aviation d'affaires était plutôt en baisse chronique de 1 à 2% par an mais dès la réouverture, les choses ont changé", explique Charles Clair, président d'Aston Jet, un des acteurs de ce secteur, lors du congrès annuel de la Fnam (Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers) qui avait lieu ce jeudi à Paris.
"Je suis très heureux pour aujourd'hui mais aussi très inquiet pour demain"
"On a surtout profité de la baisse des rotations vers des grandes villes de nombreuses compagnies", ajoute le responsable. En effet, les Air France et autres British Airways n'ont pas rouvert immédiatement toutes leurs liaisons, ni retrouvé les mêmes fréquences. L'aviation d'affaires a donc bénéficié d'un transfert d'une partie de cette clientèle qui n'avait jamais mis un pied dans un jet auparavant.
L'écosystème semble avoir profité de cette situation. En 2021, Dassault Aviation, qui fabrique les fameux Falcon dédiés à ce marché très particulier, a obtenu 51 commandes, dépassant le niveau de 2019 (40), signe de la santé retrouvée de l'aviation d'affaires.
L'enthousiasme actuel pourrait cependant vite retomber. "Je suis très heureux pour aujourd'hui mais aussi très inquiet pour demain", souffle Charles Clair. Il y a bien sûr l'augmentation du prix du kérosène "qui a pris 100%" et qui se répercutera sur le prix des billets.
Contrairement aux compagnies classiques, ce renchérissement n'est pourtant pas le problème numéro un. "Même avec des tarifs en hausse de 20/25%, les clients sont là. Notre vrai souci, ce sont les pièces détachées. Elles coûtent deux à trois plus chers mais surtout, il faut parfois attendre jusqu'à six mois pour les avoir" souligne le dirigeant.
Avec des compagnies spécialisées qui possèdent et exploitent généralement très peu d'avions, la situation peut très vite devenir tendue. "En réalité, il n'y pas assez d'avions disponibles aujourd'hui, la demande ne peut être servie. Des compagnies meurent de ça aujourd'hui", poursuit-il.
Feu de paille?
Enfin, ce soudain engouement pourrait n'être qu'un feu de paille. De plus en plus, la clientèle affaires déserte les moyens de transports, que ce soit l'avion ou même le train. Si le trafic loisir s'est bien redressé depuis plusieurs mois, pour le B2B, on est très loin du compte.
"Le trafic pro est encore 70 à 80% en deça de 2019" alors que la plupart des liaisons et des fréquences sont aujourd'hui rétablies, précise Jean-Pierre Mas, président des entreprises du voyage. "Les entreprises ont complètement revu leurs stratégies de déplacements. Elles se sont rendues compte que les réunions virtuelles étaient aussi efficaces que les réunions physiques. Alors elles ont drastiquement revu à la baisse les budgets de voyages d'affaires".
Sans oublier leur responsabilité environementale qui les poussent à écarter les modes de transports jugés polluants comme l'avion.
La clientèle affaires se déplace de moins en moins
"Il y a fort à parier que les grandes compagnies aériennes réduisent rapidement la taille des classes affaires au profit des classes éco", estime de son côté marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et de French Bee.
La question est de savoir si cette clientèle va continuer à utiliser l'aviation d'affaires, ou retourner chez les compagnies classiques et dans quelles proportions, ou réduire considérablement ses déplacements.
Il faut savoir que dans l'aérien, comme dans le ferroviaire, la clientèle professionnelle est celle qui génère le plus de chiffre d'affaires (à la SNCF, c'était 20% du trafic et 40% des revenus avant la crise) et qui permet donc aux opérateurs de proposer des prix bas pour le grand public. La désertion de ces voyageurs remet donc en question le modèle économique de nombreux acteurs du secteur...
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